Les amarres rompues, le rêveur peut toucher De sa bouche assoiffée les lèvres idéales. Tissez, oiseaux-sommeil qui frôlez les clochers Mutiques de la nuit, à l’amant une toile Où peindre son désir, brûlant comme une étoile !
La rose se consume en son silence noir ; Le songeux sur la toile en fait une étincelle, Puis deux grands yeux de ciel où s’allume l’espoir, Comme dans le soleil la petite hirondelle Revenant au printemps, notre âme sous son aile.
J’ai vu passer l’amour sous son masque violet Mais je n’ai rien osé ni geste ni murmure Et il s’est évanoui ce beau songe inviolé Ne laissant que remords en mon cœur de parjure
Des remords sans lisière un chagrin sans espoir Comme une dure pierre qu’aucun marteau n’entame Fichée dans la poitrine à l’endroit le plus noir Pesant de tout le poids de sa mort minérale
Le ciel comme l’amour autrefois envolé Emprunte à la glycine ses nuances tristes Le nuage crevant par-dessus la vallée Les déverse sur moi en flot récidiviste
Que mes larmes sucrées s’y mêlent à la fin Et mon sang et ma voix jusqu’à mon ombre même Je veux être l’ondée que boit le chrysanthème Embaumant le caveau de mon rêve défunt
Sur l’étang d’encre noir, Glissent blêmes des cygnes. Leur ombre n’est qu’un signe Tracé sur le miroir ; Inexplicable mot, Pensée laissée sur l’eau Que lentement reprennent Des gorges musiciennes.
Elles sont là et là, Cachées dans l’entrelacs Des roseaux, des jacinthes ; Et quand leurs ailes tintent, Revenantes du vent, Je laisse, dérivant, Aller, aller ma peine, Barque à la bleue carène.
Musique qui m’éteint, Drapé d’un frais satin, Aux maux et aux dilemmes Des destinées humaines. Musique qui m’étreint À l’endroit du chagrin ; Toutes petites perles, Ô larmes qui déferlent !
L’étang d’un songe luit, Soudain dessous les saules ; Présence qu’auréole Un bijou de la nuit. Je tremble, mais je vais Par le vent soulevé Au devant de la flamme Qui brûle comme une âme.
Et je sais, m’envolant, Que c’est là le moment De toute une existence ; Le moment d’alliance, Le très nouveau matin Qui ouvre les chemins, Referme les blessures, Amorce l’écriture.